L'élasticité ou la plasticité d'un marché par rapport au taux d'imposition

Par nature, la fiscalité est répressive

Nous parlions précédemment de la nature répressive (ou punitive) de la fiscalité, c'est à dire le fait que toute fiscalité tend à déprimer le marché ou le comportement qu'elle taxe. Exprimé simplement, on pourrait dire: "plus on taxe quelque chose, moins il y en a".

Il semble facile de trouver des contre-exemples, tels la taxe d'habitation et la taxe foncière, mais ce serait méconnaître la nature de la fiscalité, en général.

Il faut d'abord bien comprendre le concept du degré d'élasticité ou de plasticité de ce qui est taxé par rapport au taux d'imposition.

La plasticité du marché face à l'impôt

Effectivement, on ignore généralement à notre péril la nature propre de la fiscalité. Lorsqu'on dit que la fiscalité, par nature est répressive, personne n'a dit que cela se faisait de façon linéaire, ni qu'il y avait une stricte correspondance entre le taux d'imposition et la réaction du marché de ce qui est imposé.

En général, la nature répressive de l'impôt suit une courbe de Gauss ou courbe en cloche: aux points extrêmes de la courbe (soit taux extrêmement bas, soit taux extrêmement haut), le marché est très peu élastique et ne réagit pas. Au milieu de la courbe, la réactivité du marché est très haute: un changement durable du taux d'imposition va faire réagir le marché dans le sens inverse. Si le taux monte, cela va déprimer le marché. S'il baisse, le marché va être plus libre de se développer. J'insiste sur le fait que le changement du taux soit durable, sinon le marché attendra simplement que la mode passe et que les taux reviennent à ce qu'ils étaient avant. Si on veut influencer le marché, il faut rendre clair le fait qu'un changement de taux n'est que le début d'une évolution durable, afin que le marché puisse prendre les devants et s'adapter en conséquence.

Mais ce qui nous intéresse présentement, c'est ce qui se passe aux extrémités.

D'abord, à l'extrémité inférieure, lorsque les taux sont très bas, voire nuls: on a ce à quoi Jeff faisait illusion un peu plus tôt. Un taux bas et une assiette large font que cet impôt passe presque inaperçu et ne déprime pas le marché. Bien sûr, il faut prendre en compte l'effet cumulé de tous les impôts. S'il y a de nombreux impôts qui dépriment tous dans le même sens le même secteur d'un marché, alors on remonte vers le milieu de la courbe, et l'effet se fera sentir.

À l'extrémité supérieure, l'impôt le plus fort qui soit ne saurait réduire à néant la consommation de certains produits de première nécessité. Plus on tombe dans le domaine des besoins primaires, moins le marché sera élastique et moins le marché réagira à une augmentation du taux d'imposition.

Exemples

Pour prendre quelques exemples concrets:

Le marché de l'alimentation

D'abord imaginons qu'un gouvernement stupide ait l'idée stupide d'imposer la nourriture. Il faut bien être conscient que la nourriture aujourd'hui est déjà fortement imposée (5% de TVA, et bien sûr toute la fiscalité du travail qui pèse sur la production de nourriture). Imaginons donc que ce gouvernement augmente de façon drastique la fiscalité qui pèse directement sur la nourriture. Dans un premier temps, le marché aura une certaine plasticité et réagira en fonction. Regardez tout le gaspillage de nourriture qu'il y a à l'heure actuelle! On ne parle pas seulement de l'enfant qui ne veut pas finir son assiette, mais surtout des grandes quantités de produits alimentaires tout à fait consommables qui sont jetés par les grandes surfaces, et par l'industrie de la distribution. Le phénomène est tel que le gouvernement français a récemment fait passer une loi qui limite ce genre de gaspillage et oblige les grandes surfaces à trouver d'autres moyens pour disposer des invendus. Évidemment, si l'alimentation est rendue très coûteuse à cause d'une taxe directe forte, alors tout ce gaspillage disparaîtra. À ce stade, le marché est encore plastique. Mais il faut bien que l'Homme mange. Et aussi forte puisse la taxe sur la nourriture être, les consommateurs feront des économies ailleurs mais continueront à manger. À cette étape, à l'extrémité supérieure de notre courbe en cloche, le marché aura perdu sa plasticité, sauf à virer dans l'encore plus absurde et imaginer une fiscalité si forte que les gens meurent de faim, de façon très littérale!

Le marché de l'immobilier

Pour ce qui est des impôts fonciers, c'est un marché qui dès le départ, comme la nourriture, n'a pas beaucoup de plasticité. Comme la nourriture, c'est un marché de toute première nécessité. Mais, comme la nourriture encore, cela ne veut pas dire que ce marché n'a aucune plasticité. Prenez par exemple le nouvel impôt foncier organique, la taxe dont la base d'imposition serait le mètre carré au sol. Aux taux relativement bas que je propose, le marché n'aura aucune plasticité. Les milliardaires garderont leurs villas sur la côte d'Azur et autres résidences secondaires. Les classes moyennes n'abandonneront certainement pas leurs pavillons, leur propriété unique. Mais un taux exagérément haut forcerait les populations pourtant très aisées à se recroqueviller et rechercher des biens immobiliers moins grandes en surface. Et après passé ce cap de plasticité relative, on tombera à l'autre extrémité de la courbe en cloche, où il sera difficile, voire impossible, pour le marché de réagir encore plus.

La plasticité du marché du travail face à la fiscalité du travail

Il est dans notre intérêt de bien comprendre la nature intrinsèque de la fiscalité et de l'utiliser à notre avantage!

Et c'est bien ce qui m'inspire beaucoup de dégoût pour le système fiscal actuel, lorsque je vois toute cette fiscalité punitive qui pèse sur le travail. Le marché du travail est regrettablement un marché très plastique: on peut voir le résultat et notre société en paye le coût.

C'est pourquoi toute "réforme" fiscale qui ignore la nature punitive de la fiscalité, qui ignore la plasticité du marché du travail vis à vis de la fiscalité qui pèse sur celle-ci, ne saurait être digne de notre considération.

Encore une fois, je ne connais aucune autre proposition de réforme qui prenne en compte tout ceci. De loin, je ne suis pas le seul à dire ce que je dis. On peut trouver de nombreux politiciens ou de membres de la société civile qui disent peu ou prou ce que je dis. Encore une fois, je n'ai rien inventé. Mais nous sommes encore dans une toute petite minorité. On se doit de faire de notre mieux pour éduquer l'électorat. D'ici 5~10 ans, ce que je dis ici maintenant, sera plus reconnu et fera parti du discours courant. Certains comprendront plus vite alors que d'autres se borneront dans leurs vieilles façons de penser. C'est dans l'ordre des choses.